Tu es égaré? Tu es arrivé ici par une quelconque recherche? Tu as cliqué sur le mauvais lien? Ma foi, ce n'est pas bien grave : je vais t'expliquer ce que tu trouveras ici, et si tu n'es pas intéressé, tu pourras toujours repartir d'où tu viens. Il y a de ça deux ans, je me suis retrouvé en hypokhâgne, dans mon lycée. J'avais de grands espoirs. La même année, je commençai un blog, que tu trouveras là. Le temps a passé, et j'ai eu envie de trier un peu. J'ai donc réuni tout ce que j'ai écrit durant cette année-là sur ce petit bout de toile. C'est ici un album photo, en quelque sorte, que l'on range et sur lequel on tombe quand on l'a oublié. Ami lecteur, je te le confie, fais-en bon usage. Tu pourras naviguer à l'aide des tags et/ou des archives.
1. Walter Benjamin 2. Auguste Blanqui 3. Catulle 4. Claude Simon 5. Georges Clemenceau (sans accent!) 6. Nathaniel Hawthorne 7. G.W.F. Hegel 8. Ernest Hemingway 9. Henry James 10. Jean Jaurès 11. Immanuel Kant 12. Stéphane Mallarmé 13. Saint-John Perse 14. Marcel Proust 15. Homère 16. François Rabelais 17. Adolphe Thiers 18. Virgile 19. Max Weber 20. William Shakespeare
Jeudi 21. C'est le
dernier cours de grec de l'année. Nous sommes quatre. Lu ne
viens plus depuis longtemps déjà et ma Dame-Oiselle a
quelques problèmes osseux. Ce jour-là, nous nous
attaquons à l'Odyssée, en improvisé. Et voilà
Nausicaa aux beaux bras blancs qui s'en va laver le linge des ses
frères pour qu'ils puissent aller en boîte de nuit avec
du linge propre. Soudain, au détour d'un buisson,
(A
ces mots, Ulysse émergea des broussailles. Sa forte main cassa
dans la dense verdure un rameau bien feuillu qu'il donnerait pour
voile à sa virilité.) S'ensuit une magnifique métaphore
filée, celle du lion affamée se jetant sur le troupeau.
Quatre hellénistes enragées qui rivalisent quant aux
formes verbales (là un participe aoriste second de tel verbe,
ici un impératif que personne n'avait vu venir), qui se
disputent le sens des mots à coup d'étymologies plus ou
moins vaseuses: la Marmotte va jusqu'à tout traduire de but en
blanc, se laissant porter par le sens du texte.
Il
est 20h20. Nous avions rendez-vous à 19h30 devant le lycée.
Peu importe, nous voilà parties vers l'antre de notre
professeur de grec, à l'autre bout des Yvelines. J'avais
oublié qu'il y avait tant de monde à la fête de
musique à Versailles! Tant et si bien qu'après quelques
errances, de nombreux feux rouges et embouteillages, « quand
ça va tout droit, ça tourne », nous
trouvâmes le marronnier centenaire et le cimetière et
entrâmes dans le sanctuaire.
Après
un festin digne de Platon en compagnie de Polo et de Bulle, après
quelques rivalités et coups bas pour savoir qui serait servie
en premier de mousse au chocolat, après avoir tenté de
rallumer la flamme du grec, nous voilà sept dans le salon.
Sept plus une chienne. Et ma Dame-Oiselle, qui après quelques
verres de vin ne souffre plus du dos, et Lu partent à la
découverte des CD de Mado.
Un
quizz sur les slows, où la Marmotte et la Dame-Oiselle se
révèlent incollables. Des musiques plus vieilles que
nous, qui me rappellent les bals du village, dans le sud, les étés
de mes années sans dizaine. Des chansons que j'ai
(re)découvertes il y a peu. Des chansons que j'avais oubliées.
Et puis, le mieux, la cerise sur le gâteau: Mado qui fait la
queue-leu-leu, qui danse la macarena ou se trémousse sur Tic
Tic Tac... pour rien au monde je n'aurais échangé ces
fous-rires, cette insouciance qui régnait dans le salon à
ce moment-là. Un beau souvenir. Et après ça,
vous osez dire que le grec est une langue morte? Honte à vous,
vils marauds!
C'est la fin. Je pensais que j'avais
digéré, que c'était passé et que je
m'étais fait une raison. En réalité, j'avais
enfoui la déception en moi, pour qu'elle ressorte petit à
petit, à fleur de peau et qu'elle me fasse souffrir un peu
plus sûrement. J'y ai pensé
réellement, j'ai réfléchi,
je me suis rendu compte
de ceux qui passaient, de ceux que le « maître de
conférences » a daigné laisser entrer dans
le sanctuaire de la khâgne, et ça m'a fait mal: des gens
imbuvables, qui réussiront grâce à leur mépris
des autres et à leurs manières dédaigneuses,
copies conformes du professeur pour les uns; personnes tout aussi
glandeuses que moi mais qui avaient la chance d'avoir « l'esprit
philosophique » en eux, de saisir le concept,
et par conséquent de se planter partout sauf dans la
discipline cruciale, la discipline du sommet, la clef de voûte
des études supérieures, le monumental brassage d'idées
aussi grandiloquentes qu'inutiles dans de grands mouvements de bras,
j'ai nommée la philosophie, pour les autres. Ce qui me
console, c'est de voir mes amis qui eux ont réussi, et je suis
contente pour eux, une fois mon envie et ma jalousie refoulées
au plus profond de moi-même.
Et puis je me suis dit que je l'avais mérité, que je
l'avais cherché et que c'était normal... mais quand
même. Maintenant mon orgueil est en miette. La
paresse a vaincu, mais à quel prix! Peu à peu,
les gens parlent de l'année prochaine, les listes de lecture
et autres conseils estivaux fleurissent. Ce sentiment d'exclusion
grandit et s'enracine. L'impression que le lycée dans lequel
j'ai passé les quatre plus belles années de ma vie m'a
rejetée. Lui qui a pris une telle importance dans ma vie, au
point qu'il en est devenu presque vivant, mon lycée préféré,
mon refuge, le lieu où j'ai rencontré tous mes amis, le
lycée où je me suis sentie si bien... l'impression
qu'il ne veut plus de moi. Une sorte de trahison. Déception.
Une autre khâgne ailleurs? Jamais! C'est ici avec ceux que
j'aime, ou ce n'est nulle part. Tant pis, j'irai dès l'an
prochain user mes fonds de culotte sur les bancs de la fac. Un an
avant ou un an après, au fond qu'est-ce que ça change?
Ça change tout. Le trajet en train, les lieux
familiers, les voisins de classes: tout va changer! Et ça fait
peur. J'ai horreur du changement. Tout ça parce que mon
lycée m'a virée.
Mon lycée? Oh non! Mon professeur de philosophie, ce rat, ce
thon, cette face de raie, ce sycophante, ce paltoquet, cette ordure!
C'est lui qui a refusé. Mais qu'a-t-on besoin de savoir
embrouiller ses idées et celles des autres pour passer en
lettres classiques??? Quand j'entends son nom, quand je croise son
pas claudiquant et cet air suffisant, mon poil se hérisse, ma
colère s'accroît. Mais passons, ou je risque de
devenir vulgaire...
L'année d'hK, j'en garderai de bons souvenirs quand même,
il ne faut rien exagérer. Les repas tout au fond de la
cantine, les « djinns toniques et délavés »
du prof d'histoire,
, « les pommes de discorde qui poussent
dans le désert » de R. Pourtier (dont j'ai déjà
revendu le livre), ce visage contemplatif accroché au-dessus
du tableau – Proust is watching you – les séances de thème
latin dans la petite salle de CDI,
, Antonio is sad because he is in
love with Bassanio (seul morceau du cours sur le Marchand de
Venise que j'ai retenu), les magnifiques imitations de mon homonyme, les délires du
carré magique en cours de latin, la vie passionnante de Mme
P., la coiffure inimitable de F. (dernière descendante des
Bourbons – pas pour de vrai!), et aussi, je crois que c'est le plus
important, un voyage en Tunisie.
Quoi qu'il en soit, cette année n'a pas été
perdue: je me suis rendu compte que j'étais vraiment fâchée
avec une certaine matière, que l'on pouvait parler pendant des
heures d'un puits au fin fond de l'Afrique noire, qu'il existait un
animal étrange qui se nomme « littéraire », et que j'aimais le latin et le grec comme peu d'autres choses...
"Quelques" auteurs et autres personnes célèbres, vus, entraperçus,
étudiés, croisés à un des nombreux carrefours de l'hypokhâgne...
Saurez-vous donner un nom à chacun d'entre eux? 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.
Une petite recherche
d'images sur Google, avec comme mots-clefs les nom et prénom de mon
professeur de philosophie préféré. Le premier cliché sur lequel je
tombe m'emplit de joie:
Je le savais. Je m'y attendais. Je
l'avais prédit. Mais je n'ai pu empêcher une larme de
couler le long de ma joue. Mais je n'avais pu réprimer un
faible espoir. Espoir qui s'est brisé à l'instant où
il m'a dit: « Vous avez abandonné la partie? »
Espoir qui fut réduit en miettes au moment où je lus
« pas de connaissances ».
Et il se mit à déblatérer
son discours inintelligible. Et le voilà qui cite encore « le
père Hegel », avec son sourire en coin. Exaspérant.
Je ferme les yeux, rassemble tout mon courage, me lève et lui
crache toute ma rancoeur, tout mon dégoût: ne peut-il
citer quelqu'un d'autre? Il sue le pédantisme, transpire la
suffisance. Ma haine se déverse. Puis je lui tourne le dos et
m'en vais en claquant la porte.
Je rouvre les yeux. Je suis toujours
assise sur ma chaise et le fond sonore me fait grincer des dents.
Je
suis tellement fatiguée que je pourrais dormir des jours
entiers. Mon corps est usé par le manque de sommeil. Besoin de
repos. Panser mes blessures, raccommoder les usures. Mon âme
est épuisée à force d'efforts faits pour
comprendre l'Absente. Envie de dormir pour oublier.
Je
plongerais dans le Léthé, fleuve salvateur dont l'eau
tiède et le lent débit me berceraient calmement,
m'apaiseraient jusqu'au rêve. Somnus m'emporterait dans son
palais. Je me loverais au creux de son édredon. À mon
réveil je goûterais au suc des suaves pavots. Je verrais
dans l'obscurité. Mes pieds fouleraient le sol couvert de
voluptueuses plumes. Et je me rendormirais au milieu des divinités
alanguies çà et là, ayant choisi les bras de
l'une d'entre elles pour m'y pelotonner.